Restaurer le lien entre le corps et l'esprit - Canopée
Interview de Sylvain Michelet pour la revue Canopée 2007
Etonnant Thierry Janssen ! Chirurgien de renom, assistant à la faculté, nommé dans le centre de cancérologie de l’université de Bruxelles, il démissionne soudain, fatigué d’une spécialisation à outrance qui l’empêche de « voir le malade derrière l’organe et l’être humain derrière le malade ». Formé à d’autres approches, devenu guérisseur autant que médecin, il revient avec un livre événement, La Solution Intérieure. Dans cette synthèse, sans polémique mais richement documentée, des recherches menées par la science occidentale sur les effets de thérapies faisant appel à d’autres conceptions de l’homme, il en explique avec simplicité les fondements, dessinant l’avenir d’une « nouvelle médecine du corps et de l’esprit ».
Canopée : L’esprit agit sur le corps, affirmez-vous. L’idée semble évidente, on pense à l’effet placebo, mais en fait, de quelles preuves concrètes dispose-t-on ?
Thierry Janssen : L’effet placebo, scientifiquement bien documenté, pose de grandes questions sur le pouvoir de la croyance. Mais prenons un autre exemple, provocateur car non scientifique et tout simple : si, à l’instant, vous appreniez une bonne nouvelle, que se passerait-il ? Votre corps se redresserait, vous seriez rempli d’une énergie formidable, prêt à prendre l’avion pour l’autre bout du monde, pas vrai ? Imaginez à présent que la nouvelle soit mauvaise : vous sentiriez une brusque baisse d’énergie, votre corps s’affaisserait et peut-être constateriez-vous demain l’apparition d’un gros bouton de fièvre. Ainsi, de simples expériences quotidiennes, le bon sens, nous démontrent que la pensée et les émotions agissent sur le corps.
Canopée : Et la science, aujourd’hui, apporte des preuves plus formelles ?
Thierry Janssen : Elles s’accumulent. On sait, par exemple, que les défenses immunitaires d’un étudiant sont meilleures s’il tient un journal auquel il confie ses problèmes intimes. Ou que des personnes ayant eu un infarctus récupèrent plus vite, et avec moins de médicaments, si elles visionnent un film comique par jour ! L’imagerie cérébrale nous permet de comprendre ce qui se passe : quand nous avons des pensées et émotions positives, nous activons notre cortex préfrontal gauche – et donc le système nerveux parasympathique, qui stimule la mise en route des mécanismes réparateurs du corps. En même temps, le système immunitaire est renforcé, notamment au niveau des cellules NK – les cellules « tueuses naturelles » qui circulent dans notre organisme à la recherche des cellules infectées ou des cellules cancéreuses. A l’inverse, les émotions négatives comme la peur, la colère ou la tristesse sollicitent le cortex cérébral droit et le système nerveux sympathique, qui met l’organisme sous tension en vue de la fuite ou du combat. Résultat à long terme : un excès d’adrénaline et de cortisol – les hormones du stress – finit par abîmer le système cardiovasculaire et dérégler les réactions immunitaires, provoquant des inflammations et toute une série d’affections.
Canopée : Serait-on coupable d’être malade ?
Thierry Janssen : Absolument pas ! La culpabilité n’a pas lieu d’être, car nous vivons dans un environnement, nous héritons de croyances, de conditionnements, et ce n’est pas de notre faute si nous avons vécu des expériences douloureuses ou des accidents. La plupart des maladies ont une origine multifactorielle. On ne peut donc pas agir sur toutes leurs causes. En revanche, nous pouvons modifier certains de nos comportements et la manière dont nous pensons afin, par exemple, de réduire le stress - qui, rappelons-le, intervient dans 75 à 90% 1 des problèmes de santé. Dès que nous reconnaissons notre responsabilité dans un processus de cause à effet, nous sommes habilités à y répondre. Il est important de rappeler aux gens qu’ils ont, en eux, un immense potentiel de prévention et de guérison.
Canopée : D’autant que, réciproquement, le corps agit sur l’esprit ?
T.J. : Là encore, l’expérience quotidienne le prouve : quand on a des idées noires, le simple fait de se redresser, de respirer profondément, voire de se forcer à sourire, donne aux pensées une meilleure connotation. Ces attitudes corporelles stimulent, au niveau cérébral, la genèse des émotions positives. Plus scientifiquement, on a montré les bienfaits du massage sur de nombreux malades, des adolescents dépressifs ou anorexiques; et l’efficacité du jogging ou de la marche contre la dépression et le cancer. On a même observé que des moines bouddhistes qui méditent de manière régulière stimulent préférentiellement leur cortex préfrontal gauche, lié aux émotions positives, même en situation de stress. Confrontés à un problème, ils trouvent des solutions plus facilement que des gens qui ne méditent pas. Lorsqu’on les vaccine, ils manifestent une meilleure réponse immunitaire.
Canopée : Il suffirait de méditer pour ne pas tomber malade ?
Thierry Janssen : Ce n’est pas aussi simple ! Rappelez-vous : la maladie dépend de multiples facteurs génétiques, alimentaires, toxiques, environnementaux. Mais aussi émotionnels et psychologiques. Méditer, en aidant à réagir émotionnellement d’une manière plus positive, entraîne souvent une propension à moins se stresser, à mieux s’alimenter et à réduire toute une série de comportements délétères. Tout est relié et interdépendant. Agir sur une cause peut en prévenir ou en réduire d’autres. Evidemment, il faut se garder d’une volonté naïve de toute-puissance. Face à la maladie et sa guérison, il s’agit de rester humble. C’est pourquoi il est important de recourir à plusieurs approches thérapeutiques, pour le meilleur bénéfice des patients.
Canopée : D’où la profusion des médecines dites « complémentaires et alternatives » ?
Thierry Janssen : Oui, la plupart de ces approches visent à restaurer la fluidité du lien corpsesprit. Ainsi, le yoga, le qigong ou le tai chi ont prouvé leur intérêt dans le maintien d’une bonne santé physique et mentale, et comme soutien au traitement de pathologies lourdes. Il en va de même avec des pratiques occidentales comme la sophrologie ou des techniques d’éducation somatique comme celles de Feldenkrais et Alexander. Les méthodes sont nombreuses et, dans ce paysage apparemment un peu chaotique, il s’agit de comprendre les mécanismes à l’origine des guérisons ou des améliorations observées.
Canopée : Un grand nombre de ces thérapies font appel à l’idée d’énergie. Mais qu’est-ce que l’énergie ?
Thierry Janssen : Beaucoup de médecines alternatives ou complémentaires sont apparues de manière empirique et se basent sur l’expérience et le bon sens. Elles considèrent l’être humain comme une entité corps-esprit, un individu indivisible. Du coup, elles conceptualisent ce continuum entre la pensée, les émotions et l’action matérialisée, sous la forme de l’energeia : la force en action, tantôt psychique, tantôt physique. Les Grecs anciens parlaient du pneuma, le souffle vital, les Egyptiens de ankh. Cette notion est à la base des médecines asiatiques ; en particulier, en Inde, l’ayurveda parle du prana et, en Chine, la médecine traditionnelle parle du qi. L’alimentation, les massages, la pratique d’exercices respiratoires, de mouvements et de la méditation, notamment au cours du yoga, du tai chi et du qigong, l’implantation d’aiguilles dans l’acupuncture, ou la pression appuyée à certaines endroits du corps dans le shiatsu, toutes ces pratiques visent à agir à la fois sur la physiologie des organes, les émotions qui y sont rattachées et les pensées de l’individu. En un mot sur l’énergie, tant physique que psychique, d’une personne.
Canopée : N’est-ce pas un peu imprécis pour notre science occidentale ?
Thierry Janssen : Ce concept semble imprécis parce que, depuis le siècle des Lumières, postulant que l’être humain est en dehors de la nature, nous avons séparé le corps de l’esprit. Nous réduisions l’être humain à un ensemble d’organes et de systèmes, oubliant qu’il est avant tout un ensemble de liens et d’interactions, un être animé de vie. « La vie ce n’est pas les molécules, disait Linus Pauling, prix Nobel de chimie et de la paix. La vie c’est les liens entre les molécules ». Spontanément nous utilisons le mot « énergie » pour décrire ces liens. Ainsi, quand on dit d’une personne qu’elle a une bonne ou une mauvaise énergie, cela peut désigner aussi bien ses intentions, ses émotions, sa force physique ou les trois à la fois ! Depuis Einstein, nous savons que la matière et l’énergie sont deux états interchangeables et la théorie de l’information nous apprend que matière ou énergie sont de l’information. Ces concepts n’ont pas encore réellement imprégné le champ de la science médicale. Progressivement, nous allons découvrir que les intuitions des cultures anciennes et traditionnelles décrivent mieux la réalité que la science réductionniste ne l’imagine.
Canopée : Et vous croyez qu’il en naîtra une nouvelle médecine ?
Thierry Janssen : Face à l’augmentation de certaines maladies, confrontés aux problèmes d’environnement, de nombreux citoyens pressentent la nécessité d’une médecine capable de s’inscrire dans un développement durable, dans le respect de l’écologie intérieure du corps et de l’esprit, mais aussi d’une écologie extérieure de l’individu et de la planète. La vision mécaniste de l’être humain semble dépassée. Il devient indispensable d’enrichir notre médecine en s’intéressant à d’autres manières de soigner. Mais notre science est-elle adaptée pour comprendre les effets des thérapies holistiques ? Emio Tada, professeur de médecine à Tokyo, propose de développer une science épi-médicale – épi vient du grec et signifie « audessus » – afin d’interpréter l’action de méthodes thérapeutiques complexes sur le supersystème que constitue l’être humain.
Canopée : Sur le terrain, quelle forme prendrait cette médecine ?
Thierry Janssen : En Occident, 40 à 70% des patients recourent déjà à des thérapies alternatives ou complémentaires. Le bon sens populaire semble donc montrer la voie à suivre – même si 75% des personnes se soignant à l’aide de méthodes non conventionnelles n’osent pas l’avouer à leur médecin ! La médecine scientifique a permis d’allonger le temps de la vie, notamment grâce aux antibiotiques et aux progrès de la chirurgie. Elle s’avère indispensable pour traiter environ 20% des pathologies. Pour les 80% restants, souvent des maladies chroniques liées au vieillissement, on dispose de temps pour expérimenter des traitements souvent moins chers, moins dangereux et, finalement, plus efficaces car ils agissent de concert avec les mécanismes de guérison du corps. Aujourd’hui, de nombreux patients en sont conscients et souhaitent reprendre leur responsabilité dans la prévention et la guérison de leurs maladies.
Canopée : Responsabilité, c’est le mot important, pour vous ?
Thierry Janssen : Je le disais à l’instant : être responsable, c’est être habilité à répondre, et nous avons beaucoup plus de ressources intérieures que nous ne le croyons. Mais un autre mot important, c’est : « lien ». Comme le dit mon ami Raghubir Sangh, médecin formé aux deux approches : « Les liens sont le ciment de la vie. Ils sont l’essentiel. Sans eux, aucune forme n’aurait de sens. » Quand nous aurons compris cela, nous participerons d’une manière positive à l’évolution de notre espèce.
Article concernant le livre
Interview de Sylvain Michelet pour la revue Canopée 2007
Etonnant Thierry Janssen ! Chirurgien de renom, assistant à la faculté, nommé dans le centre de cancérologie de l’université de Bruxelles, il démissionne soudain, fatigué d’une spécialisation à outrance qui l’empêche de « voir le malade derrière l’organe et l’être humain derrière le malade ». Formé à d’autres approches, devenu guérisseur autant que médecin, il revient avec un livre événement, La Solution Intérieure. Dans cette synthèse, sans polémique mais richement documentée, des recherches menées par la science occidentale sur les effets de thérapies faisant appel à d’autres conceptions de l’homme, il en explique avec simplicité les fondements, dessinant l’avenir d’une « nouvelle médecine du corps et de l’esprit ».
Canopée : L’esprit agit sur le corps, affirmez-vous. L’idée semble évidente, on pense à l’effet placebo, mais en fait, de quelles preuves concrètes dispose-t-on ?
Thierry Janssen : L’effet placebo, scientifiquement bien documenté, pose de grandes questions sur le pouvoir de la croyance. Mais prenons un autre exemple, provocateur car non scientifique et tout simple : si, à l’instant, vous appreniez une bonne nouvelle, que se passerait-il ? Votre corps se redresserait, vous seriez rempli d’une énergie formidable, prêt à prendre l’avion pour l’autre bout du monde, pas vrai ? Imaginez à présent que la nouvelle soit mauvaise : vous sentiriez une brusque baisse d’énergie, votre corps s’affaisserait et peut-être constateriez-vous demain l’apparition d’un gros bouton de fièvre. Ainsi, de simples expériences quotidiennes, le bon sens, nous démontrent que la pensée et les émotions agissent sur le corps.
Canopée : Et la science, aujourd’hui, apporte des preuves plus formelles ?
Thierry Janssen : Elles s’accumulent. On sait, par exemple, que les défenses immunitaires d’un étudiant sont meilleures s’il tient un journal auquel il confie ses problèmes intimes. Ou que des personnes ayant eu un infarctus récupèrent plus vite, et avec moins de médicaments, si elles visionnent un film comique par jour ! L’imagerie cérébrale nous permet de comprendre ce qui se passe : quand nous avons des pensées et émotions positives, nous activons notre cortex préfrontal gauche – et donc le système nerveux parasympathique, qui stimule la mise en route des mécanismes réparateurs du corps. En même temps, le système immunitaire est renforcé, notamment au niveau des cellules NK – les cellules « tueuses naturelles » qui circulent dans notre organisme à la recherche des cellules infectées ou des cellules cancéreuses. A l’inverse, les émotions négatives comme la peur, la colère ou la tristesse sollicitent le cortex cérébral droit et le système nerveux sympathique, qui met l’organisme sous tension en vue de la fuite ou du combat. Résultat à long terme : un excès d’adrénaline et de cortisol – les hormones du stress – finit par abîmer le système cardiovasculaire et dérégler les réactions immunitaires, provoquant des inflammations et toute une série d’affections.
Canopée : Serait-on coupable d’être malade ?
Thierry Janssen : Absolument pas ! La culpabilité n’a pas lieu d’être, car nous vivons dans un environnement, nous héritons de croyances, de conditionnements, et ce n’est pas de notre faute si nous avons vécu des expériences douloureuses ou des accidents. La plupart des maladies ont une origine multifactorielle. On ne peut donc pas agir sur toutes leurs causes. En revanche, nous pouvons modifier certains de nos comportements et la manière dont nous pensons afin, par exemple, de réduire le stress - qui, rappelons-le, intervient dans 75 à 90% 1 des problèmes de santé. Dès que nous reconnaissons notre responsabilité dans un processus de cause à effet, nous sommes habilités à y répondre. Il est important de rappeler aux gens qu’ils ont, en eux, un immense potentiel de prévention et de guérison.
Canopée : D’autant que, réciproquement, le corps agit sur l’esprit ?
T.J. : Là encore, l’expérience quotidienne le prouve : quand on a des idées noires, le simple fait de se redresser, de respirer profondément, voire de se forcer à sourire, donne aux pensées une meilleure connotation. Ces attitudes corporelles stimulent, au niveau cérébral, la genèse des émotions positives. Plus scientifiquement, on a montré les bienfaits du massage sur de nombreux malades, des adolescents dépressifs ou anorexiques; et l’efficacité du jogging ou de la marche contre la dépression et le cancer. On a même observé que des moines bouddhistes qui méditent de manière régulière stimulent préférentiellement leur cortex préfrontal gauche, lié aux émotions positives, même en situation de stress. Confrontés à un problème, ils trouvent des solutions plus facilement que des gens qui ne méditent pas. Lorsqu’on les vaccine, ils manifestent une meilleure réponse immunitaire.
Canopée : Il suffirait de méditer pour ne pas tomber malade ?
Thierry Janssen : Ce n’est pas aussi simple ! Rappelez-vous : la maladie dépend de multiples facteurs génétiques, alimentaires, toxiques, environnementaux. Mais aussi émotionnels et psychologiques. Méditer, en aidant à réagir émotionnellement d’une manière plus positive, entraîne souvent une propension à moins se stresser, à mieux s’alimenter et à réduire toute une série de comportements délétères. Tout est relié et interdépendant. Agir sur une cause peut en prévenir ou en réduire d’autres. Evidemment, il faut se garder d’une volonté naïve de toute-puissance. Face à la maladie et sa guérison, il s’agit de rester humble. C’est pourquoi il est important de recourir à plusieurs approches thérapeutiques, pour le meilleur bénéfice des patients.
Canopée : D’où la profusion des médecines dites « complémentaires et alternatives » ?
Thierry Janssen : Oui, la plupart de ces approches visent à restaurer la fluidité du lien corpsesprit. Ainsi, le yoga, le qigong ou le tai chi ont prouvé leur intérêt dans le maintien d’une bonne santé physique et mentale, et comme soutien au traitement de pathologies lourdes. Il en va de même avec des pratiques occidentales comme la sophrologie ou des techniques d’éducation somatique comme celles de Feldenkrais et Alexander. Les méthodes sont nombreuses et, dans ce paysage apparemment un peu chaotique, il s’agit de comprendre les mécanismes à l’origine des guérisons ou des améliorations observées.
Canopée : Un grand nombre de ces thérapies font appel à l’idée d’énergie. Mais qu’est-ce que l’énergie ?
Thierry Janssen : Beaucoup de médecines alternatives ou complémentaires sont apparues de manière empirique et se basent sur l’expérience et le bon sens. Elles considèrent l’être humain comme une entité corps-esprit, un individu indivisible. Du coup, elles conceptualisent ce continuum entre la pensée, les émotions et l’action matérialisée, sous la forme de l’energeia : la force en action, tantôt psychique, tantôt physique. Les Grecs anciens parlaient du pneuma, le souffle vital, les Egyptiens de ankh. Cette notion est à la base des médecines asiatiques ; en particulier, en Inde, l’ayurveda parle du prana et, en Chine, la médecine traditionnelle parle du qi. L’alimentation, les massages, la pratique d’exercices respiratoires, de mouvements et de la méditation, notamment au cours du yoga, du tai chi et du qigong, l’implantation d’aiguilles dans l’acupuncture, ou la pression appuyée à certaines endroits du corps dans le shiatsu, toutes ces pratiques visent à agir à la fois sur la physiologie des organes, les émotions qui y sont rattachées et les pensées de l’individu. En un mot sur l’énergie, tant physique que psychique, d’une personne.
Canopée : N’est-ce pas un peu imprécis pour notre science occidentale ?
Thierry Janssen : Ce concept semble imprécis parce que, depuis le siècle des Lumières, postulant que l’être humain est en dehors de la nature, nous avons séparé le corps de l’esprit. Nous réduisions l’être humain à un ensemble d’organes et de systèmes, oubliant qu’il est avant tout un ensemble de liens et d’interactions, un être animé de vie. « La vie ce n’est pas les molécules, disait Linus Pauling, prix Nobel de chimie et de la paix. La vie c’est les liens entre les molécules ». Spontanément nous utilisons le mot « énergie » pour décrire ces liens. Ainsi, quand on dit d’une personne qu’elle a une bonne ou une mauvaise énergie, cela peut désigner aussi bien ses intentions, ses émotions, sa force physique ou les trois à la fois ! Depuis Einstein, nous savons que la matière et l’énergie sont deux états interchangeables et la théorie de l’information nous apprend que matière ou énergie sont de l’information. Ces concepts n’ont pas encore réellement imprégné le champ de la science médicale. Progressivement, nous allons découvrir que les intuitions des cultures anciennes et traditionnelles décrivent mieux la réalité que la science réductionniste ne l’imagine.
Canopée : Et vous croyez qu’il en naîtra une nouvelle médecine ?
Thierry Janssen : Face à l’augmentation de certaines maladies, confrontés aux problèmes d’environnement, de nombreux citoyens pressentent la nécessité d’une médecine capable de s’inscrire dans un développement durable, dans le respect de l’écologie intérieure du corps et de l’esprit, mais aussi d’une écologie extérieure de l’individu et de la planète. La vision mécaniste de l’être humain semble dépassée. Il devient indispensable d’enrichir notre médecine en s’intéressant à d’autres manières de soigner. Mais notre science est-elle adaptée pour comprendre les effets des thérapies holistiques ? Emio Tada, professeur de médecine à Tokyo, propose de développer une science épi-médicale – épi vient du grec et signifie « audessus » – afin d’interpréter l’action de méthodes thérapeutiques complexes sur le supersystème que constitue l’être humain.
Canopée : Sur le terrain, quelle forme prendrait cette médecine ?
Thierry Janssen : En Occident, 40 à 70% des patients recourent déjà à des thérapies alternatives ou complémentaires. Le bon sens populaire semble donc montrer la voie à suivre – même si 75% des personnes se soignant à l’aide de méthodes non conventionnelles n’osent pas l’avouer à leur médecin ! La médecine scientifique a permis d’allonger le temps de la vie, notamment grâce aux antibiotiques et aux progrès de la chirurgie. Elle s’avère indispensable pour traiter environ 20% des pathologies. Pour les 80% restants, souvent des maladies chroniques liées au vieillissement, on dispose de temps pour expérimenter des traitements souvent moins chers, moins dangereux et, finalement, plus efficaces car ils agissent de concert avec les mécanismes de guérison du corps. Aujourd’hui, de nombreux patients en sont conscients et souhaitent reprendre leur responsabilité dans la prévention et la guérison de leurs maladies.
Canopée : Responsabilité, c’est le mot important, pour vous ?
Thierry Janssen : Je le disais à l’instant : être responsable, c’est être habilité à répondre, et nous avons beaucoup plus de ressources intérieures que nous ne le croyons. Mais un autre mot important, c’est : « lien ». Comme le dit mon ami Raghubir Sangh, médecin formé aux deux approches : « Les liens sont le ciment de la vie. Ils sont l’essentiel. Sans eux, aucune forme n’aurait de sens. » Quand nous aurons compris cela, nous participerons d’une manière positive à l’évolution de notre espèce.