Santé, Affaire globale, Entretien avec Thierry Janssen
Propos recueillis par Nathalie Calmé pour la revue Alliance
En 1998, vous démissionnez soudainement du centre de cancérologie de l’université de Bruxelles, « fatigué, dites-vous, d’une spécialisation à outrance qui empêche de voir le malade derrière l’organe et l’être humain derrière le malade ». Comment en êtes-vous arrivé à cette décision radicale ?
J’avais tout sacrifié à ma carrière médicale et chirurgicale. Je m’étais enfermé dans une course à gravir les échelons de la hiérarchie académique. Depuis l’enfance, je rêvais de devenir chirurgien et professeur de médecine pour enseigner.
A l’âge de 35 ans, j’ai commencé à me sentir très à l’étroit dans mon métier. Je fonctionnais comme une machine performante dans une médecine dont l’esprit est lui-même très mécaniste. Mon inconfort était tel que je me suis mis à somatiser. J’avais le dos couvert d’eczéma et je faisais des conjonctivites à répétition.
J’ai fini par obtenir ma nomination dans le centre de cancérologie de l’université de Bruxelles. Et, le jour de mon entrée en fonction, sans aucune préméditation, subitement, j’ai réalisé que si je prenais ce poste, j’allais tuer quelque chose de profond, d’essentiel en moi qui demandait à être exploré, à se révéler, à s’exprimer. Je suis entré dans mon nouveau bureau et j’ai écrit ma lettre de démission. Faire ce choix a libéré en moi une force incroyable ! Une certitude inébranlable. Evidemment, par la suite, il a fallu en assumer les conséquences en affrontant le regard des autres qui pensaient que j’étais devenu complètement fou.
J’ai redressé mon équilibre financier en me faisant engager comme directeur dans une maison de mode italienne à Paris. Cette fonction n’avait rien à voir avec la médecine mais, avec le recul, je vois le fil conducteur qui reliait mon expérience de la chirurgie et celle de la couture : j’étais à la recherche du pouvoir. Neuf mois plus tard, je me suis senti dans le même inconfort que celui que je vivais à l’hôpital. Et pour cause : le vrai pouvoir ne s’exerce pas à l’extérieur mais à l’intérieur de soi. J’ai alors eu la sagesse d’utiliser mes indemnités de départ au service d’une réflexion profonde. Il fallait que je prenne le temps et que je crée l’espace nécessaire pour comprendre ce qui était en train de se passer dans ma vie ? Mes passions d’adolescence en ont profité pour resurgir : l’histoire, l’anthropologie, la sociologie. Mes études médicales avaient fini par rétrécir ma vision de l’être humain. Progressivement celle-ci s’ouvrait et s’élargissait. Je me suis mis à voyager pour comprendre et apprendre d’autres manières de soigner. J’ai compris que l’être humain était un individu indivisible - des pensées, des croyances, des émotions, un corps. J’ai acquis la conviction que la médecine ne peut ignorer cette réalité.
Aujourd’hui vous vous qualifiez de « médecin psychothérapeute ». Vous recevez, entre autres, des malades atteints du cancer. En quoi consiste votre pratique ?
Il existe beaucoup de bons thérapeutes, mais peu de thérapeutes ont pratiqué la chirurgie, vu et touché le corps de l’intérieur. Peu de thérapeutes ont prescrit des chimiothérapies. Il me semblait donc plus légitime de proposer mes services de thérapeute auprès des personnes atteintes de maladies physiques. Je ne les aide pas à l’aide la chimie et de la technologie médicale. Je les accompagne d’un point de vue psychologique dans l’expérience de la maladie. Je situe mon intervention à deux niveaux. Tout d’abord un soutien bien nécessaire dans l’expérience difficile de la maladie et de ses traitements. Mais aussi, une synergie, une complémentarité qui me paraît indispensable avec les traitements conventionnels car de nombreuses études le montrent : en aidant à réduire l’émotion négative et le stress et en favorisant l’émergence d’une pensée positive, on stimulent les mécanismes réparateurs et les défenses immunitaires de l’organisme. En conséquence, j’essaie de mettre en place pour les patients une équipe formée de médecins conventionnels (chirurgiens, radiothérapeutes, chimiothérapeutes) et de praticiens de médecines complémentaires (acupuncteurs, masseurs, ostéopathes, diététiciens, homéopathes,…). Une sorte de médecine intégrative au service de chaque patients, dans le respect des besoins de chaque malade, en fonction de ses attentes, des sa culture, des ses croyances. Car ce qui marche pour l’un ne marche pas pour l’autre. Mon travail de psychothérapeute place le corps au centre du débat. J’essaie de faire prendre conscience au malade de ses contractures corporelles, de ses crispations et de ses tensions physiques. Et, je n’hésite pas à travailler de manière non verbale, par le toucher, par exemple, afin de court-circuiter les défenses du mental qui empêchent de ressentir l’émotion et de comprendre profondément qui l’on est.
Comment l’annonce du diagnostic d’une maladie grave devrait-elle être faite par le médecin? Et quels conseils pourriez-vous donner aux malades pour qu’ils reçoivent cette annonce le plus sereinement possible ?
Une maladie comme le cancer porte une charge émotionnelle importante. En effet, face à ce diagnostic, nous sommes obligés de nous rappeler que la vie a une fin. Cela nous met face à l’existence avec tout ce qu’elle a d’exigeant et de grand.
L’annonce d’un diagnostic est avant tout une rencontre entre celui qui dit et celui qui écoute. Le médecin devrait éviter prendre trop de place. Il n’est pas utile de tout dire d’emblée. Il est important de laisser de l’espace pour les interrogations et les ressentis du patient. Hélas, la plupart des médecins s’empressent d’apporter des solutions, ils n’entendent pas les besoins du patient au moment où celui-ci reçoit le diagnostic. Beaucoup de soignants ont une peur non consciente de la maladie et de la mort. Il n’est donc pas étonnant qu’ils se réfugient derrière les promesses de toute-puissance de la médecine. Pourtant, si ils veulent accompagner les patients il leur faudra apprendre à apprivoiser leur peur, accepter de ne rien faire, de ne rien dire et d’écouter. J’encourage souvent les patients à réclamer auprès de leur médecin une écoute véritable et un temps pour leurs questions, même si leurs préoccupations ne sont pas forcément celle du corps médical. Je leur conseille également d’aborder la consultation médicale, et en particulier l’annonce de résultats ou de diagnostics, en respirant, conscients d’eux-mêmes dans la réalité du temps présent. Respirer profondément et en pleine conscience permet d’apaiser les émotions négatives comme la peur, l’anxiété ou la colère. Rester dans la réalité du présent permet de garder une objectivité, une rationalité et un recul par rapport à la situation. L’annonce d’un cancer ne veut pas dire que l’on est condamné à mort. Quand bien même on nous annoncerait qu’il y a 50% de risques d’une évolution négative de la maladie, pourquoi oublierions-nous qu’il y a 50% de chances que celle-ci évolue vers la guérison ? Et même si il n’y avait qu’une chance sur cent, pourquoi ne serait-elle pas la nôtre ? Rester dans la rationalité du présent permet d’éviter de paniquer. Ne pas se laisser submerger par la peur Ne pas tomber dans le piège de l’anticipation de faits qui ne se produiront peut être jamais. Car l’anticipation crée un stress inutile et délétère pour le système immunitaire et donc pour la santé. Mon travail est largement consacré à aider les malades à rester dans réalité du présent.
En tant que médecin ouvert aux médecines alternatives et complémentaires, vous arrive t-il de conseiller de ne pas recourir à la chimiothérapie ?
Non. La chimiothérapie est un moyen efficace pour stopper la progression de la maladie. Certes c’est souvent un bazooka pour tuer une mouche mais, pour le moment, on n’a pas mieux. Quand certains patients me déclarent ne pas vouloir se soigner à l’aide de la chimiothérapie, j’essaie de comprendre pourquoi, avec eux : « Quelle part d’eux-mêmes refuse la chimiothérapie ? Est-ce la personne capable de faire confiance ? Ou bien celle qui a peur ? La peur n’est pas forcément une bonne conseillère. Le patient est-il totalement en cohérence avec ses croyances ?
Le principe de cohérence me semble très important dans les processus de guérison. Observez une plante : elle est en bonne santé lorsque sa cohérence est préservée. Dès que l’on introduit un élément d’incohérence dans la niche écologique d’un être vivant, son développement est compromis. C’est la même chose à tous les niveaux du vivant. Une société humaine, par exemple, se développe de manière harmonieuse et prospère lorsqu’elle maintient une cohérence entre sa vision du monde, ce qu’elle dit par rapport à cette vision et les actes qu’elle pose. De la même manière, nous générons de la bonne santé, lorsque nous sommes en pleine cohérence par rapport à nos croyances, nos paroles et nos actes. Mon travail avec les malades consiste à les aider à prendre conscience de leur système de croyance afin de créer une adéquation entre leurs pensées, leurs paroles et leurs actes. J’essaie de les aider également à discerner si leur croyance est au service de leurs peurs et donc de leurs défenses, ou au contraire, si elle est l’expression de leur capacité à faire confiance. Mon expérience auprès de nombreux guérisseurs m’a enseigné que la confiance et la cohérence sont deux conditions fondamentales au maintient de la bonne santé et à l’apparition de la guérison.
La peur induit des mécanismes de défenses qui nous épuisent et affaiblissent notre système immunitaire. La confiance au contraire induit de la fluidité. Pour moi, cette fluidité est le troisième pilier de la bonne santé. Cette fluidité se manifeste à travers le corps, l’émotion et la pensée. A tous les étages de notre cerveau, dans toutes les dimensions de notre être. De nombreuses médecines traditionnelles comme les médecines indiennes et chinoises cherchent à restaurer cette fluidité entre le corps, l’émotion et la pensée. C’est la condition même de la vie.
Quelles sont les principales croyances des patients qui viennent vous voir vis-à-vis de leur cancer ?
Aujourd’hui de plus en plus de gens pensent qu’il y a des raisons psychiques à leur maladie. Ils veulent les comprendre. Parfois, ils ont déjà pointé du doigt une cause psychologique, un conflit, un stress, une tension émotionnelle. La réalité paraît plus complexe et plus subtile. En effet, la plupart des maladies sont le résultat d’un déséquilibre provoqué par un ensemble de causes. La maladie est souvent d’origine multifactorielle. En tant qu’être humain nous voulons mettre du sens sur nos expériences. Cela nous aide à générer des émotions positives et à avancer au cours de notre existence. La médecine scientifique et technologique me paraît donc avoir tord lorsque de ne pas écouter les patients qui invoquent des liens psychologiques avec leurs maladies physiques. En revanche, je me méfie beaucoup des grilles de lecture psycho-corporelles qui proposent d’établir des liens symboliques spécifiques entre un conflit psychologique et un symptôme physique. En effet, il est dangereux de plaquer trop rapidement ce genre d’explication sur la vie des patients. Seule un travail profond et personnel permet à chacun de définir le sens qu’il souhaite attribuer à ses expériences. Peu importe que des causes psychologiques soient à l’origine de la souffrance physique. Ce qui compte avant tout c’est que chaque malade puisse se décharger de ses émotions négatives et de ses peurs. Cela aidera à sa guérison, tant psychique que physique. Les chimiothérapeutes ont tendance à attribuer la guérison des malades à la chimiothérapie. Pour ma part, je ne dirais pas que c’est parce qu’un patient a fait un travail psychothérapeutique qu’il a guéri de son cancer. Comme la maladie, sa guérison m’apparaît être un phénomène multifactoriel. Je ne néglige donc aucune piste pour aider les patients à se guérir. J’ai le sentiment que si on travaillait dans cette alliance on obtiendrait de meilleures résultats dans nos chimiothérapies. Des études commencent à le monter. Ainsi, par exemple : des animaux stressés ont des chimiothérapies moins efficaces. Dans ma pratique, je constate que les malades suivis psychologiquement ont moins d’effets secondaires de leurs traitements. Je leur apprends à envisager ces traitements de façon positive. Ainsi, par exemple, je les encourage à visualiser leur chimiothérapie, non pas comme un liquide mortel qui coule dans leur veine mais comme une remède qui va éliminer les cellules malades dans leur corps. Par ailleurs, il est important de ne pas anticiper les effets secondaires d’une cure à l’autre. A nouveau, j’insiste sur l’importance de rester dans la rationalité du présent et non pas dans l’angoisse du futur. Car l’anticipation des effets secondaires finit par les créer ou les augmenter.
Vous invitez les malades à ne plus être victimes mais acteurs de leur maladie, à développer le ce qu’on appelle « le témoin intérieur » ?
Oui, acteurs et responsables. Il ne faut pas confondre responsabilité et culpabilité. On n’est pas coupable de tomber malade. On n’a pas choisi son hérédité ou attiré le virus qui nous a rendu malade. Mais en revanche, nous pouvons agir sur certains facteurs qui participent au déséquilibre à l’origine de nos maladies. Ainsi nous sommes responsable de notre alimentation, de notre philosophie par rapport au monde et à la vie, de la manière dont nous gérons nos émotions. Comme le mot « responsable » l’indique : dès que nous acceptons notre responsabilité dans un processus de causes et d’effets, nous sommes habilités à trouver des réponses. En changeant certaines causes, automatiquement, nous obtenons d’autres effets. Ignorer cette réalité, c’est risquer de rester la victime de la maladie. Ainsi, il me paraît important d’aider le patient à se positionner en tant qu’acteur, au centre du processus de sa guérison, à choisir ses interlocuteurs, son système de santé et d’avoir le courage d’annoncer, par exemple, à son chimiothérapeute qu’il ira, en plus, consulter un acupuncteur.
Le patient est au centre du débat. C’est une question d’éducation ?
Oui. Nous sommes trop déresponsabilisés. Rien ne peut changer sans faire évoluer les mentalités. Il faudrait donc enseigner aux enfants que leur corps, leurs émotions, leurs pensées sont les plus beaux cadeaux de la vie. Il faudrait leur apprendre à bien nourrir leur corps, à l’oxygéner, à l’entraîner. Il faudrait les aider à exprimer plus et à gérer mieux leurs émotions. Il faudrait leur enseigner la véritable maîtrise, celle qui naît de la cohérence entre ce que l’on pense, ce que l’on dit et ce que l’on fait. Devenus adultes, leur existence serait tellement plus simple.
Vous êtes un « médecin psychothérapeute » et un citoyen engagé… Vous dites : « Mon livre est un acte politique »…En quoi votre livre est-il politique ?
Comme nous tous, je vis dans une société qui est en train de découvrir les limites de ses dogmes de pensée. Je vis mon existence en permanente recherche de cohérence. Je ne peux donc pas taire ce que je pense. Et si j’espère voir évoluer cette société vers plus sagesse, il est de ma responsabilité, il est de notre responsabilité à tous, de diffuser les idées que l’on croit plus sages. Encore faut-il incarner ces idées. « Soyez le changement que vous souhaitez voir dans le monde », disait le Mahatma Gandhi. C’est cela la cohérence.
Avez-vous signé l’Appel de Paris du Professeur Belpomme ?
Bien sûr. Après avoir analysé le vivant en classant les éléments de son analyse dans des colonnes verticales, la science contemporaine est en train de découvrir que la vie est faites de liens. Il lui faut donc explorer les ponts entre ces différentes colonnes, remplacer sa vision verticale par une approche horizontale de la réalité. Car tout est relié. La vie c’est des liens. Les liens entre le corps et l’esprit qui font l’être humain. Les liens entre les être humains qui font l’humanité. Les liens entre l’humanité et la Terre qui font le monde. Il n’y a pas de révolution sans évolution préalable des mentalités. Il est donc indispensable de dire ces principes de vie si nous voulons sauver la vie. Signer l’Appel de Paris est pour moi un acte de cohérence. En tant que thérapeute et médecin, c’est un témoignage important, car l’Appel de Paris encouragera peut être les responsables politiques à agir. La société civile des biens portants et des malades doit se mobiliser et dire qu’ils ne sont pas d’accord avec ce qui se passe au niveau de l’environnement. A chacun de le proclamer à sa manière : signer une pétition, écrire un livre, le dire à ses enfants. Actuellement, le monde médical est en crise. Depuis la parution de La solution intérieure, je suis invité par différentes sociétés médicales et chirurgicales pour donner des conférences sur le lien corps–esprit. Un cycle de séminaires a même été organisé à l’université de Bruxelles. Le bon sens populaire serait-il en train de se réveiller. Par nécessité, sans doute. Théodore Monod, que j’ai rencontré à la fin de sa vie, se demandait si l’aventure humaine n’était pas destinée à échouer. Récemment Yves Paccalet nous a même déclaré dans son pamphlet éponyme : « l’humanité disparaîtra bon débarras ! » Une chose est certaine, le professeur Belpomme a raison : l’espèce humaine risque de disparaître si elle ne fait pas un saut évolutif.
Article concernant le livre
Propos recueillis par Nathalie Calmé pour la revue Alliance
En 1998, vous démissionnez soudainement du centre de cancérologie de l’université de Bruxelles, « fatigué, dites-vous, d’une spécialisation à outrance qui empêche de voir le malade derrière l’organe et l’être humain derrière le malade ». Comment en êtes-vous arrivé à cette décision radicale ?
J’avais tout sacrifié à ma carrière médicale et chirurgicale. Je m’étais enfermé dans une course à gravir les échelons de la hiérarchie académique. Depuis l’enfance, je rêvais de devenir chirurgien et professeur de médecine pour enseigner.
A l’âge de 35 ans, j’ai commencé à me sentir très à l’étroit dans mon métier. Je fonctionnais comme une machine performante dans une médecine dont l’esprit est lui-même très mécaniste. Mon inconfort était tel que je me suis mis à somatiser. J’avais le dos couvert d’eczéma et je faisais des conjonctivites à répétition.
J’ai fini par obtenir ma nomination dans le centre de cancérologie de l’université de Bruxelles. Et, le jour de mon entrée en fonction, sans aucune préméditation, subitement, j’ai réalisé que si je prenais ce poste, j’allais tuer quelque chose de profond, d’essentiel en moi qui demandait à être exploré, à se révéler, à s’exprimer. Je suis entré dans mon nouveau bureau et j’ai écrit ma lettre de démission. Faire ce choix a libéré en moi une force incroyable ! Une certitude inébranlable. Evidemment, par la suite, il a fallu en assumer les conséquences en affrontant le regard des autres qui pensaient que j’étais devenu complètement fou.
J’ai redressé mon équilibre financier en me faisant engager comme directeur dans une maison de mode italienne à Paris. Cette fonction n’avait rien à voir avec la médecine mais, avec le recul, je vois le fil conducteur qui reliait mon expérience de la chirurgie et celle de la couture : j’étais à la recherche du pouvoir. Neuf mois plus tard, je me suis senti dans le même inconfort que celui que je vivais à l’hôpital. Et pour cause : le vrai pouvoir ne s’exerce pas à l’extérieur mais à l’intérieur de soi. J’ai alors eu la sagesse d’utiliser mes indemnités de départ au service d’une réflexion profonde. Il fallait que je prenne le temps et que je crée l’espace nécessaire pour comprendre ce qui était en train de se passer dans ma vie ? Mes passions d’adolescence en ont profité pour resurgir : l’histoire, l’anthropologie, la sociologie. Mes études médicales avaient fini par rétrécir ma vision de l’être humain. Progressivement celle-ci s’ouvrait et s’élargissait. Je me suis mis à voyager pour comprendre et apprendre d’autres manières de soigner. J’ai compris que l’être humain était un individu indivisible - des pensées, des croyances, des émotions, un corps. J’ai acquis la conviction que la médecine ne peut ignorer cette réalité.
Aujourd’hui vous vous qualifiez de « médecin psychothérapeute ». Vous recevez, entre autres, des malades atteints du cancer. En quoi consiste votre pratique ?
Il existe beaucoup de bons thérapeutes, mais peu de thérapeutes ont pratiqué la chirurgie, vu et touché le corps de l’intérieur. Peu de thérapeutes ont prescrit des chimiothérapies. Il me semblait donc plus légitime de proposer mes services de thérapeute auprès des personnes atteintes de maladies physiques. Je ne les aide pas à l’aide la chimie et de la technologie médicale. Je les accompagne d’un point de vue psychologique dans l’expérience de la maladie. Je situe mon intervention à deux niveaux. Tout d’abord un soutien bien nécessaire dans l’expérience difficile de la maladie et de ses traitements. Mais aussi, une synergie, une complémentarité qui me paraît indispensable avec les traitements conventionnels car de nombreuses études le montrent : en aidant à réduire l’émotion négative et le stress et en favorisant l’émergence d’une pensée positive, on stimulent les mécanismes réparateurs et les défenses immunitaires de l’organisme. En conséquence, j’essaie de mettre en place pour les patients une équipe formée de médecins conventionnels (chirurgiens, radiothérapeutes, chimiothérapeutes) et de praticiens de médecines complémentaires (acupuncteurs, masseurs, ostéopathes, diététiciens, homéopathes,…). Une sorte de médecine intégrative au service de chaque patients, dans le respect des besoins de chaque malade, en fonction de ses attentes, des sa culture, des ses croyances. Car ce qui marche pour l’un ne marche pas pour l’autre. Mon travail de psychothérapeute place le corps au centre du débat. J’essaie de faire prendre conscience au malade de ses contractures corporelles, de ses crispations et de ses tensions physiques. Et, je n’hésite pas à travailler de manière non verbale, par le toucher, par exemple, afin de court-circuiter les défenses du mental qui empêchent de ressentir l’émotion et de comprendre profondément qui l’on est.
Comment l’annonce du diagnostic d’une maladie grave devrait-elle être faite par le médecin? Et quels conseils pourriez-vous donner aux malades pour qu’ils reçoivent cette annonce le plus sereinement possible ?
Une maladie comme le cancer porte une charge émotionnelle importante. En effet, face à ce diagnostic, nous sommes obligés de nous rappeler que la vie a une fin. Cela nous met face à l’existence avec tout ce qu’elle a d’exigeant et de grand.
L’annonce d’un diagnostic est avant tout une rencontre entre celui qui dit et celui qui écoute. Le médecin devrait éviter prendre trop de place. Il n’est pas utile de tout dire d’emblée. Il est important de laisser de l’espace pour les interrogations et les ressentis du patient. Hélas, la plupart des médecins s’empressent d’apporter des solutions, ils n’entendent pas les besoins du patient au moment où celui-ci reçoit le diagnostic. Beaucoup de soignants ont une peur non consciente de la maladie et de la mort. Il n’est donc pas étonnant qu’ils se réfugient derrière les promesses de toute-puissance de la médecine. Pourtant, si ils veulent accompagner les patients il leur faudra apprendre à apprivoiser leur peur, accepter de ne rien faire, de ne rien dire et d’écouter. J’encourage souvent les patients à réclamer auprès de leur médecin une écoute véritable et un temps pour leurs questions, même si leurs préoccupations ne sont pas forcément celle du corps médical. Je leur conseille également d’aborder la consultation médicale, et en particulier l’annonce de résultats ou de diagnostics, en respirant, conscients d’eux-mêmes dans la réalité du temps présent. Respirer profondément et en pleine conscience permet d’apaiser les émotions négatives comme la peur, l’anxiété ou la colère. Rester dans la réalité du présent permet de garder une objectivité, une rationalité et un recul par rapport à la situation. L’annonce d’un cancer ne veut pas dire que l’on est condamné à mort. Quand bien même on nous annoncerait qu’il y a 50% de risques d’une évolution négative de la maladie, pourquoi oublierions-nous qu’il y a 50% de chances que celle-ci évolue vers la guérison ? Et même si il n’y avait qu’une chance sur cent, pourquoi ne serait-elle pas la nôtre ? Rester dans la rationalité du présent permet d’éviter de paniquer. Ne pas se laisser submerger par la peur Ne pas tomber dans le piège de l’anticipation de faits qui ne se produiront peut être jamais. Car l’anticipation crée un stress inutile et délétère pour le système immunitaire et donc pour la santé. Mon travail est largement consacré à aider les malades à rester dans réalité du présent.
En tant que médecin ouvert aux médecines alternatives et complémentaires, vous arrive t-il de conseiller de ne pas recourir à la chimiothérapie ?
Non. La chimiothérapie est un moyen efficace pour stopper la progression de la maladie. Certes c’est souvent un bazooka pour tuer une mouche mais, pour le moment, on n’a pas mieux. Quand certains patients me déclarent ne pas vouloir se soigner à l’aide de la chimiothérapie, j’essaie de comprendre pourquoi, avec eux : « Quelle part d’eux-mêmes refuse la chimiothérapie ? Est-ce la personne capable de faire confiance ? Ou bien celle qui a peur ? La peur n’est pas forcément une bonne conseillère. Le patient est-il totalement en cohérence avec ses croyances ?
Le principe de cohérence me semble très important dans les processus de guérison. Observez une plante : elle est en bonne santé lorsque sa cohérence est préservée. Dès que l’on introduit un élément d’incohérence dans la niche écologique d’un être vivant, son développement est compromis. C’est la même chose à tous les niveaux du vivant. Une société humaine, par exemple, se développe de manière harmonieuse et prospère lorsqu’elle maintient une cohérence entre sa vision du monde, ce qu’elle dit par rapport à cette vision et les actes qu’elle pose. De la même manière, nous générons de la bonne santé, lorsque nous sommes en pleine cohérence par rapport à nos croyances, nos paroles et nos actes. Mon travail avec les malades consiste à les aider à prendre conscience de leur système de croyance afin de créer une adéquation entre leurs pensées, leurs paroles et leurs actes. J’essaie de les aider également à discerner si leur croyance est au service de leurs peurs et donc de leurs défenses, ou au contraire, si elle est l’expression de leur capacité à faire confiance. Mon expérience auprès de nombreux guérisseurs m’a enseigné que la confiance et la cohérence sont deux conditions fondamentales au maintient de la bonne santé et à l’apparition de la guérison.
La peur induit des mécanismes de défenses qui nous épuisent et affaiblissent notre système immunitaire. La confiance au contraire induit de la fluidité. Pour moi, cette fluidité est le troisième pilier de la bonne santé. Cette fluidité se manifeste à travers le corps, l’émotion et la pensée. A tous les étages de notre cerveau, dans toutes les dimensions de notre être. De nombreuses médecines traditionnelles comme les médecines indiennes et chinoises cherchent à restaurer cette fluidité entre le corps, l’émotion et la pensée. C’est la condition même de la vie.
Quelles sont les principales croyances des patients qui viennent vous voir vis-à-vis de leur cancer ?
Aujourd’hui de plus en plus de gens pensent qu’il y a des raisons psychiques à leur maladie. Ils veulent les comprendre. Parfois, ils ont déjà pointé du doigt une cause psychologique, un conflit, un stress, une tension émotionnelle. La réalité paraît plus complexe et plus subtile. En effet, la plupart des maladies sont le résultat d’un déséquilibre provoqué par un ensemble de causes. La maladie est souvent d’origine multifactorielle. En tant qu’être humain nous voulons mettre du sens sur nos expériences. Cela nous aide à générer des émotions positives et à avancer au cours de notre existence. La médecine scientifique et technologique me paraît donc avoir tord lorsque de ne pas écouter les patients qui invoquent des liens psychologiques avec leurs maladies physiques. En revanche, je me méfie beaucoup des grilles de lecture psycho-corporelles qui proposent d’établir des liens symboliques spécifiques entre un conflit psychologique et un symptôme physique. En effet, il est dangereux de plaquer trop rapidement ce genre d’explication sur la vie des patients. Seule un travail profond et personnel permet à chacun de définir le sens qu’il souhaite attribuer à ses expériences. Peu importe que des causes psychologiques soient à l’origine de la souffrance physique. Ce qui compte avant tout c’est que chaque malade puisse se décharger de ses émotions négatives et de ses peurs. Cela aidera à sa guérison, tant psychique que physique. Les chimiothérapeutes ont tendance à attribuer la guérison des malades à la chimiothérapie. Pour ma part, je ne dirais pas que c’est parce qu’un patient a fait un travail psychothérapeutique qu’il a guéri de son cancer. Comme la maladie, sa guérison m’apparaît être un phénomène multifactoriel. Je ne néglige donc aucune piste pour aider les patients à se guérir. J’ai le sentiment que si on travaillait dans cette alliance on obtiendrait de meilleures résultats dans nos chimiothérapies. Des études commencent à le monter. Ainsi, par exemple : des animaux stressés ont des chimiothérapies moins efficaces. Dans ma pratique, je constate que les malades suivis psychologiquement ont moins d’effets secondaires de leurs traitements. Je leur apprends à envisager ces traitements de façon positive. Ainsi, par exemple, je les encourage à visualiser leur chimiothérapie, non pas comme un liquide mortel qui coule dans leur veine mais comme une remède qui va éliminer les cellules malades dans leur corps. Par ailleurs, il est important de ne pas anticiper les effets secondaires d’une cure à l’autre. A nouveau, j’insiste sur l’importance de rester dans la rationalité du présent et non pas dans l’angoisse du futur. Car l’anticipation des effets secondaires finit par les créer ou les augmenter.
Vous invitez les malades à ne plus être victimes mais acteurs de leur maladie, à développer le ce qu’on appelle « le témoin intérieur » ?
Oui, acteurs et responsables. Il ne faut pas confondre responsabilité et culpabilité. On n’est pas coupable de tomber malade. On n’a pas choisi son hérédité ou attiré le virus qui nous a rendu malade. Mais en revanche, nous pouvons agir sur certains facteurs qui participent au déséquilibre à l’origine de nos maladies. Ainsi nous sommes responsable de notre alimentation, de notre philosophie par rapport au monde et à la vie, de la manière dont nous gérons nos émotions. Comme le mot « responsable » l’indique : dès que nous acceptons notre responsabilité dans un processus de causes et d’effets, nous sommes habilités à trouver des réponses. En changeant certaines causes, automatiquement, nous obtenons d’autres effets. Ignorer cette réalité, c’est risquer de rester la victime de la maladie. Ainsi, il me paraît important d’aider le patient à se positionner en tant qu’acteur, au centre du processus de sa guérison, à choisir ses interlocuteurs, son système de santé et d’avoir le courage d’annoncer, par exemple, à son chimiothérapeute qu’il ira, en plus, consulter un acupuncteur.
Le patient est au centre du débat. C’est une question d’éducation ?
Oui. Nous sommes trop déresponsabilisés. Rien ne peut changer sans faire évoluer les mentalités. Il faudrait donc enseigner aux enfants que leur corps, leurs émotions, leurs pensées sont les plus beaux cadeaux de la vie. Il faudrait leur apprendre à bien nourrir leur corps, à l’oxygéner, à l’entraîner. Il faudrait les aider à exprimer plus et à gérer mieux leurs émotions. Il faudrait leur enseigner la véritable maîtrise, celle qui naît de la cohérence entre ce que l’on pense, ce que l’on dit et ce que l’on fait. Devenus adultes, leur existence serait tellement plus simple.
Vous êtes un « médecin psychothérapeute » et un citoyen engagé… Vous dites : « Mon livre est un acte politique »…En quoi votre livre est-il politique ?
Comme nous tous, je vis dans une société qui est en train de découvrir les limites de ses dogmes de pensée. Je vis mon existence en permanente recherche de cohérence. Je ne peux donc pas taire ce que je pense. Et si j’espère voir évoluer cette société vers plus sagesse, il est de ma responsabilité, il est de notre responsabilité à tous, de diffuser les idées que l’on croit plus sages. Encore faut-il incarner ces idées. « Soyez le changement que vous souhaitez voir dans le monde », disait le Mahatma Gandhi. C’est cela la cohérence.
Avez-vous signé l’Appel de Paris du Professeur Belpomme ?
Bien sûr. Après avoir analysé le vivant en classant les éléments de son analyse dans des colonnes verticales, la science contemporaine est en train de découvrir que la vie est faites de liens. Il lui faut donc explorer les ponts entre ces différentes colonnes, remplacer sa vision verticale par une approche horizontale de la réalité. Car tout est relié. La vie c’est des liens. Les liens entre le corps et l’esprit qui font l’être humain. Les liens entre les être humains qui font l’humanité. Les liens entre l’humanité et la Terre qui font le monde. Il n’y a pas de révolution sans évolution préalable des mentalités. Il est donc indispensable de dire ces principes de vie si nous voulons sauver la vie. Signer l’Appel de Paris est pour moi un acte de cohérence. En tant que thérapeute et médecin, c’est un témoignage important, car l’Appel de Paris encouragera peut être les responsables politiques à agir. La société civile des biens portants et des malades doit se mobiliser et dire qu’ils ne sont pas d’accord avec ce qui se passe au niveau de l’environnement. A chacun de le proclamer à sa manière : signer une pétition, écrire un livre, le dire à ses enfants. Actuellement, le monde médical est en crise. Depuis la parution de La solution intérieure, je suis invité par différentes sociétés médicales et chirurgicales pour donner des conférences sur le lien corps–esprit. Un cycle de séminaires a même été organisé à l’université de Bruxelles. Le bon sens populaire serait-il en train de se réveiller. Par nécessité, sans doute. Théodore Monod, que j’ai rencontré à la fin de sa vie, se demandait si l’aventure humaine n’était pas destinée à échouer. Récemment Yves Paccalet nous a même déclaré dans son pamphlet éponyme : « l’humanité disparaîtra bon débarras ! » Une chose est certaine, le professeur Belpomme a raison : l’espèce humaine risque de disparaître si elle ne fait pas un saut évolutif.